Liste au goût doux-amer, d’une délicatesse terrible cachée sous un humour ravageur, le tout servi par un sytle admirable, à consommer tiède avec des patates.
Les carottes cuites à l’eau sont une insulte à la gastronomie. Leur goût douceâtre et leur consistance mollassonne ennuient le fin gourmet. Il n’est rien de pire que les carottes cuites à l’eau, si ce n’est le bonheur. Le bonheur m’assomme comme une tonne de beurre fondu. Pas le fugace bonheur improvisé quotidiennement, entendons-nous bien, je veux vous parler du lourd bonheur de circonstance.
Nous sortons d’en prendre pour deux semaines. Une quinzaine de guirlandes chamarrées et de boules reluisantes, une quinzaine d’enfants aux yeux écarquillés par la féerie de Noël. Sagouins. Une quinzaine de béatitude aux pieds des sapins clignotants et des bouteilles célébratrices. Dégueulasse. Une quinzaine de dictature au cours desquelles chacun se devait d’être heureux ou d’être un moins que rien. Salauds, nazis…
J’ai vécu ces deux semaines dans un état d’hébétude profonde et de quotidienne mélancolie. J’ai paressé, j’ai soupiré, j’ai pleuré, j’ai dépressé, je me suis mis en ermitage, honteux mammifère qui n’était pas émerveillé, habité par l’esprit de Noël, en un mot : heureux. J’ai fait tout ça et puis quand j’en ai eu assez, alors je suis mort.
Triste nouvelle. Mais qui ne vaut pas vos pleurs, vous qui m’honorez de parcourir ces pages. Le gros monsieur mal rasé qui tape sur son clavier est plus vivant qu’il ne l’était il y a trois jours encore et il se sent soulagé d’avoir passé ce nouveau cap de la quinzaine du sourire laïc, gratuit et obligatoire. C’est juste Cohen. Cohen est mort. Il a vécu sa dernière aventure, qu’il n’écrira pas car elle est sombre et ennuyeuse.
Crevé, le crevard, niqué le chroniqueur acerbe des petits riens, défuncté, le défenseur brutal des causes incertaines, lessivé, out, RIP. Il devait en être ainsi, et ce n’est pas grave car, comme le disait le Professeur Marmaduke Lagrêle, doyen de l’Université Bocsonienne du Futile : « Quand on estmort, c’est un peu tard pour se faire du souci. »
Dans son agonie, il fera encore deux petits tours. Et puis s’en ira.
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